Brève histoire du boudin au Québec

 

Des origines préhistoriques au Moyen-âge

Les origines du boudin se perdent dans la nuit des temps. Si la domestication du sanglier, rebaptisé porc, remonte au moins à quelques 8000-7000 ans  avant notre ère,  on peut penser que très tôt apparut la charcuterie, étymologiquement l’art de cuire la chair.  Sans pouvoir remonter le long cours de la préhistoire, on sait que le porc déjà domestiqué fut importé en Europe quelque 4000 avant J.C  et que les Gaulois les élevaient en semi liberté pour s’en nourrir[1].

Qu’en était-il du sang ? Dans l’Antiquité, les Spartiates par exemple, aimaient les « brouets noirs » : du sang cuit assaisonné de vinaigre[2].  Mais nul ne peut dire à quel moment l’idée d’utiliser les boyaux comme poche émergea. Les légendes ne manquent pas pour attribuer par exemple aux Phéniciens son apparition en Europe et certains prétendent même que les héros de l’Odyssée en mangeaient. En tous cas, il semble revenir aux Vikings, ces « Nord man », devenus en français ces Normands, ayant conquis (9ème-11ème siècle) les deux rives de la Manche, d’avoir promu en France la coutume du plat sans que l’on sache vraiment si leur prédécesseur s’en régalaient. Du duché de la Normandie alors constitué, le boudin se diffusa dans toute la France avec des variations régionales. En tous cas son succès initial fut si indiscutable que notre boudin, prononcé avec l’accent british devint : boudine[3], puis pudding ! En somme le début de la célébrité…

Un des tous premier livre de cuisine français, le Mesnagier de Paris[4], écrit vers les années 1390, nous donne une recette dont les ingrédients essentiels, sang, oignons et gras démontre une typicité n’ayant été que très peu modifiée par les siècles. Par la suite, le boudin se retrouve dans de nombreux ouvrages de chefs célèbres avec des variations somme toute marginales et reposant largement sur l’usage de diverses épices.

Du porc bien réel au boudin…fantomatique en Nouvelle-France

Si Jacques Cartier en 1541 vint, notamment avec des porcs, convaincus qu’il jetterait les bases d’un l’Établissement, il revint à la ferme de Champlain construite au Cap Tourmente[5] d’en faire, en 1623, l’élevage pour la première fois au Québec. Base carnée de l’alimentation des Habitants, le porc, outre de contribuer à assurer la survie des colons, fut sans aucun doute d’autant plus apprécié que ces derniers étaient héritiers des traditions culinaires du Perche, de la Normandie, de Bretagne, du Poitou…

Pourtant aucune preuve indiscutable de la consommation de boudin en Nouvelle-France existe et si tous les historiens s’accordent[6] pour dire qu’il fut sans aucun doute préparé et mangé, nul n’est en mesure de le démontrer de manière irréfutable, les gens du pays n’étant pas nécessairement scolarisés et peu portés à écrire des livres de recettes locales ! La transmission orale des savoir-faire suffisait à assurer l’essentiel. Tout porte donc à croire, compte tenu des effets de longues durées des traditions alimentaires, que la pratique de l’abattage du cochon à l’Avent, se généralisa très vite puisqu’il fallait, dans l’économie rurale d’alors, tout à la fois diminuer le nombre de têtes de bétail à nourrir pendant l’hiver et assurer le « lard » de toute la famille.

Dès lors, comme il était coutume partout, le sang chaud de la bête saignée était vivement remué par les ménagères qui pouvaient y ajouter du gras et toutes épices utiles au goût et le mettaient dans les boyaux tout juste lavés de l’animal. Pour ne rien perdre de la précieuse matière, dans une atmosphère festive, le boudin et quelques autres morceaux de courte conservation (surtout les abats), étaient partagés avec les voisins venus donner un coup de main pour découper la bête et la mettre en saloir. À n’en pas douter les « délices de la campagne » étaient fort recherchés même par les curés qui par hasard, ces jours là, se sentaient irrésistiblement attirés par l’odeur provenant des rangs même les plus éloignés !

La vie, la mort et la résurrection du boudin au Québec…

Toute une littérature existe sur l’art de la préparation du boudin et la première recette écrite québécoise est celle présentée par la Révérende Mère Caron dans son livre Directions diverses[7]. On peut notamment y lire « …Vous hachez du gras de porc frais bien fin, de la panne et des oignons, vous y ajoutez des épices au goût et du lait. Pour une pinte de sang, un demiard de lait. Ceci préparé, entonnez dans les tripes en brassant afin que tout soit bien mélangé. Mettez dans l’eau bouillante et faites cuire sans bouillir….faites rôtir avec de la graisse ou grillade au lard ». Voilà un héritage qui vient de loin, fort semblable, à la vieille tradition française et qu’aucun charcutier digne de ce nom ne saurait refuser…!

Si au début du 20 ème siècle les recettes des livres de cuisine sont centrées sur la fabrication du boudin, peu à peu, avec l’urbanisation, les recettes n’abordent plus que les préparations culinaires à proprement parler…à l’exception aujourd’hui de Martin Picard[8] !!! La fabrication ainsi laissée aux professionnels de la charcuterie, les amateurs de bonne chaire purent se consacrer exclusivement aux accompagnements appropriés telles les pommes Cortland ou la sauce blanche comme au Saguenay.

À partir du vingtième siècle, le boudin disparut progressivement des tables et des étals. Il faut dire que l’industrialisation de l’élevage du porc et de l’abattage joint à un hygiénisme quelque peu maladif des autorités sanitaire effrayées par la moindre bactérie, surtout après la Seconde guerre mondiale, a directement participé à une sorte d’oubli collectif puisque le sang était tout simplement jeté aux égouts.  Aujourd’hui pourtant, fort d’un intérêt croissant à l’égard du patrimoine québécois tout comme du désir de renouvellement culinaire, les jeunes chefs et charcutiers se sont relevé les manches et nous offrent de plus en plus souvent des produits d’une indiscutable qualité.

Ainsi c’est plus de 80 charcuteries artisanales et commerciales qui, en 2018,  rivalisent de savoir-faire et de finesse et un nombre incalculable d’excellents restaurants qui en font un des plats réguliers de leur menu. Le boudin ressuscite dans nos assiettes pour le plus grand plaisir des gourmets des plus âgés…aux plus jeunes!

Le reste de l’histoire s’écrira dans les prochaines années car la créativité aidant, de nombreuses recettes traditionnelles sont revisitées voire sont complètement réinventées. Le boudin à une longue histoire mais, sans doute, grâce à ses qualités nutritives indiscutables, retrouve une nouvelle vitalité annonçant de nouvelles générations de goute-boudin passionnés.


[1] Flouest Anne, Romac Jean-Paul, La cuisine gauloise continue, Éditions Bibracte et bleu autour, 2006, p.19  citant notamment Phylarque, historien grec du 2ème siècle avant JC.

[2] Buren Raymond, Le boudin, Éditions Jean-Paul Richer, 1998, Paris, p. 18.

[3] Boudine se disait aussi pour un gros ventre ou bedaine!

[4] Ueltschi Karin et al, Le Mesnagier de Paris, Éditions J’ai lu, Paris, 1994, pp : 859. Voir p. 593 sur la préparation du boudin.

[5] Voir Yvon Desloges : https://www.museedelhistoire.ca/musee-virtuel-de-la-nouvelle-france/vie-quotidienne/alimentation/

[6] Bernard Audet est à cet égard fort explicite : «  Nos sources à ce sujet sont à peu prés inexistantes. »  in Audet Bernard, Se nourrir au quotidien en Nouvelle-France, Éditions GID, Québec 2001, p.149.

[7] Révérende Mère Caron, Directions diverses, Montréal, 1878, p. 48.

[8] Picard Martin, Au pied de cochon, Éditeur : Au pied de cochon, Montréal, 2006, p. 97 pour la recette du boudin maison